Pour célébrer la Journée Internationale du Vivre en Paix (JIVEP), la Cinpa a organisé un colloque à l’Assemblée Nationale, le 16 Mai 2024, qui a réuni près de 200 acteurs associatifs sur le thème : « De la violence à la paix : comment ? Regards croisés ». Une belle réussite !
Voici un colloque qui fera date ! Ouvert par Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, qui a permis que cette réunion se tienne à l’Assemblée nationale, celui-ci a rappelé que dans d’autres salles, tout autour de nous, se discutaient simultanément des sujets d’actualité graves, échos du monde, l’Ukraine, la Nouvelle Calédonie, la loi sur la fin de vie, etc… Ce rappel situait le contexte dans lequel se déroulait cette JIVEP, au sein de ce haut lieu de la démocratie, lui donnant une certaine solennité à grande valeur symbolique. « Que la société civile s’engage dans le politique à un moment où se profile le triomphe du totalitarisme est crucial », a-t-il déclaré. « Ce colloque est précieux par la conversion des cœurs ».
Porté par notre association, le thème choisi pour célébrer la JIVEP à l’Assemblée nationale, s’est ainsi inscrit au cœur de débats nationaux importants. Comme guidés par cette devise « marcher, dialoguer, comprendre », les conférenciers nous ont conduits sur un chemin ardu, nous faisant progresser « de la violence à la paix », car construire la paix n’est pas chose évidente. Les racines de la violence, les obstacles à surmonter et les ressources pour parvenir à la paix ont été abordés.
Le premier intervenant, Bernard Perret, s’appuyant sur les écrits de René Girard, remonte à la source de la violence humaine qui se situe dans la nature mimétique du désir humain. « L’imitation, propre de l’homme, quand elle porte sur des désirs et des conduites d’acquisition, engendre des rivalités. Désirer ce que possède ou ce que désire l’autre, quand on ne l’a pas, fait naître le sentiment qu’on en est injustement privé. L’autre devient la personne à abattre. Là se situe la naissance de la violence qui suscitera une réponse semblable, réciproque. La violence, phénomène mimétique est contagieuse ».
La violence initiale, contagieuse, peut changer de cible, s’orientant sur une autre personne « innocente » métamorphosant de manière non consciente la « violence de tous contre tous » en « violence de tous contre un ». C’est la naissance du « bouc émissaire ». Les liens au sein d’un groupe s’en trouvent renforcés, créant des identités collectives : eux et nous, entités bien distinctes. La violence collective sera validée par des récits mensongers qui la justifient et qui, donnant naissance à des héros et des victimes, seront sources de nouvelles violences… La violence collective mobilise la solidarité et le dépassement de soi au sein du groupe, sentiment d’élévation et d’enchantement, véritable sacralisation. Pour rompre ce dramatique enchainement mimétique et viser la réconciliation, il s’impose un difficile travail d’éducation avec des outils adaptés pour désarmer chaque étape du processus.
Karel Fracapane a, quant à lui, évoqué le rôle de l’UNESCO dans l’éducation à la paix. Cette culture de paix doit être un processus inclusif, participatif. Elle s’étend à de nombreux domaines qui sont interconnectés : la géopolitique, le dérèglement climatique, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle… L’UNESCO s’attache par ailleurs à promouvoir une éducation à la citoyenneté mondiale, accordant toute leur valeur à la dignité humaine et au respect de tous. Cette éducation peut éveiller les consciences et briser le cycle de la violence résultant de la polarisation, des discours haineux, de la discrimination et d’autres dynamiques qui peuvent conduire à des atrocités criminelles et à d’autres violations des droits de l’homme. L’UNESCO œuvre pour procurer aux apprenants les moyens de devenir des citoyens du monde responsables et actifs.
Le colloque a continué par l’intervention d’Alfonso Zardi ancien membre du Conseil de l’Europe et délégué général de Pax Christi France (ONG catholique, consultative auprès des institutions internationales de l’ONU et du conseil de l’Europe). Pax Christi, fondée en 1945 sur le projet de la réconciliation franco-allemande, œuvre pour une culture de paix. Alfonso Zardi a rappelé ce miracle historique que fut la construction européenne. Miracle par son but d’assurer la paix par la prospérité commune des états qui la constituait, par la libre circulation des personnes et des biens en son sein… Il a passé en revue les différentes étapes clés : la CECA dès 1951, première étape décisive rendant la guerre quasi impossible par la mutualisation du charbon et de l’acier, le traité de Rome en 1957 (CEE et Euratom), le lancement de la politique agricole commune en 1962, l’union douanière en 1968 (libre circulation des biens), le traité de Lisbonne en vigueur en 2009 (ouverture à 27 états membres).
D’autres temps forts de cette rencontre ont été les prises de paroles de Hanna Assouline, Ahmed Bouyerdène, Dominique Bertucat et Anne Ducrocq.
Hanna Assouline est fondatrice de l’association « Les guerrières de la paix ». Cette association de femmes de cultures différentes (en particulier des musulmanes et des juives) est porteuse d’un désir de paix, de justice et d’égalité entre les communautés.
Hanna a porté son témoignage d’artisan de paix avec une puissante ferveur et une conviction pleine d’espérance. « Le choix de la paix coûte cher et briser la loi du clan en militant pour une reconnaissance réciproque des palestiniens et des israéliens passe souvent pour une traitrise ! Seules les sociétés civiles militant pour la paix peuvent sauver la paix… Nos larmes ont la même couleur». Hana nous a permis de croire que ce combat qu’elle mène haut et fort n’était pas qu’une utopie de plus dans ce monde d’injustice déchiré par les haines et les destructions… Ce fut un grand moment d’émotion dans la salle, Hanna était longuement applaudie par toute l’assistance, debout, à l’Assemblée Nationale.
En écho à cette guerrière de la paix, Ahmed Bouyerdène a relaté le parcours d’un autre guerrier illustre, algérien, l’Emir Abdelkader. Né en 1808 dans une confrérie soufie dirigée par son père, il a bénéficié d’une éducation religieuse musulmane d’excellence dont il incarnait toutes les valeurs morales et éthiques. L’Emir Abdelkader, grand mystique, a mené un combat moral intérieur sans concession. Très jeune, il s’est aussi révélé comme un chef militaire de renom, reconnu Il fut un précurseur de la défense des droits des prisonniers de guerre. Profondément inspiré par les valeurs de l’islam, il a su préserver son humanité dans des circonstances où lui et les siens ont enduré de longues années d’un emprisonnement douloureux d’une grande violence. Son exemple riche d’enseignements peut en inspirer beaucoup pour garder chevillées au corps les valeurs qu’il portait, les incarner dans son sillage et résister contre vents et marées, sans se laisser dévier par les agressions multiples de notre monde actuel.
Pour Dominique Bertucat, c’est une autre forme de violence à laquelle elle a dû se confronter, plus intime et radicale : la perte de la vue, définitive, à l’âge de 45 ans. Cette chute vertigineuse dans les abysses ténébreux a été un profond bouleversement dans sa vie. Dans ce désastre de la nuit noire, des forces insoupçonnées se sont révélées en elle. Elle fait alors le choix de livrer un fantastique combat intérieur. Ses pas la mènent vers une autre perception du monde, « un monde intérieur qui n’est pas une fin en soi, mais une naissance, ce n’est pas une rupture mais une réconciliation avec le monde extérieur et qui m’apporte la sérénité. Mon intérieur est plein de richesse, ouverture vers l’autre, compréhension de votre monde… » nous dit-elle. Aujourd’hui, elle est présidente de l’association « Les yeux en promenade » et elle est active dans le domaine de l’audiodescription de films, procédé audio qui apporte pour les non-voyants des éléments sur ce qui se passe à l’image, que le son du film à lui seul ne permet pas de percevoir. Dominique Bertucat nous a offert avec confiance le récit de sa lutte pour dépasser cette douloureuse épreuve de sa vie qu’elle a surmontée, un bel exemple de résilience.
« La violence du monde et la nôtre coexistent. Indissociables. » nous dit Anne Ducrocq s’exprimant au sujet de la transformation intérieure nécessaire pour tout cheminement vers la paix. Pas de paix avec autrui sans pacification intérieure. C’est se faire violence que de reconnaitre en soi nos pulsions immorales, nos lâchetés, nos pensées haineuses, racistes… et les accepter ! un travail bien difficile à faire. L’obstacle majeur à cette paix intérieure, nous dit-elle, est le refus de percevoir sa propre vulnérabilité qu’on cache à soi, aux autres. Trois grandes tentations sont sources de violences interpersonnelles : Avoir plus, plus d’argent, plus de biens… Pouvoir tout maîtriser, pouvoir sur autrui, le dominer… Savoir car détenir le savoir met dans une position supérieure.
La paix ne peut advenir sans un combat spirituel pour extraire de soi l’orgueil, la haine de l’autre et tous les obstacles multiples qui empêchent une relation à l’autre respectueuse, d’égal à égal. Pas de paix si on ne prend pas le chemin vers partager l’avoir, servir avec le pouvoir qui nous a été confié, et transmettre le savoir. Ce chemin ne s’achève jamais, inlassablement nourri par une lutte contre soi-même, contre le désir d’avoir toujours raison, d’en vouloir toujours plus.
Christine Taïeb, Présidente à Paris de de l’Amitié judéo-musulmane de France (AJMF-Paris) et Marc Lebret nous ont livré, nous les révélant à deux voix, les pépites récoltées en réponse à la question proposée aux participants « Et vous, comment construisez-vous la paix ? En couple, en famille, au travail, en groupe, entre voisins, en vous-même ? » : un florilège de réponses variées et très inspirantes.
La poésie était brillamment représentée par Nadia Lang qui a déclamé un fragment du poème « la guerre sainte » de René Daumal et Hajar Mesbah qui a chanté un poème d’Ibn Arabi, véritable moment de recueillement. Francesco Agnello, metteur en scène, compositeur, percussionniste de renom a interprété avec maestria des morceaux de Hang après chaque intervention. Cet instrument de percussion insolite, envoûtant, a donné un souffle particulier, comme un écho apaisant à ce qui venait d’être dit, une véritable respiration.
La PAIX ! La faire en nous, la faire autour de nous, désarmer nos préjugés…Faudrait-il être atteint d’Alzheimer pour oublier nos petites rancunes assassines ou être atteint de cécité pour passer outre ces voiles que sont une couleur de peau, une façon d’être vêtu et aller vers l’autre sans peur, en toute confiance ? Les conférenciers nous ont apporté leur éclairage pour y parvenir, ou y tendre…
Une journée pour vivre ensemble en paix, obtenue de haute lutte par le Cheikh Bentounes et la diplomatie algérienne et votée par l’ONU en 2017, a le mérite de rappeler que rien n’est acquis définitivement. A l’Assemblée Nationale, cette JIVEP orchestrée par la Cinpa à Paris aura été comme un « petit écho » à celle organisée par nos partenaires d’AISA ONG internationale et célébrée durant trois jours au Palais des Nations à Genève.
Ce 16 mai 2024 parisien a été pour tous un temps de réflexion, de questionnements et d’échanges enrichissants. Peut-être dérisoire, certes ! Le chemin sera encore long, difficile, et il faudra faire feu de tout bois pour raviver notre désir de paix, et en dépit de tous les obstacles, si nombreux, s’acharner pour rester sur ce juste chemin, ne pas abdiquer et renoncer. « Ceux qui vivent sont ceux qui luttent » nous dit Victor Hugo ! Emboitons le pas à tous les artisans de paix qui ont réalisé ce 16 mai avec foi, persévérance et détermination. Gardons à l’esprit ce désir de paix plein d’espérance que cette soirée à l’Assemblée Nationale a ravivé en nous.
Bravo et merci à Jean-René Brunetière, président de Compostelle-Cordoue, à Marc Lebret, secrétaire général de la Cinpa et à Christine Taïeb, présidente de l’AJMF-Paris qui, en collaboration avec d’autres membres de la Cinpa, ont porté avec brio ce projet, depuis sa conception jusqu’à sa réalisation : une incontestable réussite ! Bravo et merci à l’infatigable Morice De Lamarzelle, membre du CA de la Cinpa, qui a assuré avec enthousiasme la communication de l’évènement. Merci enfin à Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, et à Laurent Grzybowski, président de la Cinpa, d’avoir porté et défendu cette belle initiative. Dans la salle Colbert comble, le public qui a répondu présent porte une part, lui aussi, dans la réussite de cette soirée. Ce colloque, accueilli dans ce lieu hautement symbolique, a pris une valeur encore plus grande en ce mois de juin troublé par la dissolution de l’Assemblée Nationale et par des élections à haut risque. Gageons que le message de paix et de fraternité partagé lors de ce colloque inspire nos concitoyens et tous les élus de la nation.
Leïla Hamidou
Accueil par Dominique Potier, député
Introduction : Laurent Grzybowski, Président de la Coordination INterconvictionnelle du grand PAris (Cinpa)
Animation : Jean-René Brunetière, Président de l’association Compostelle-Cordoue
Intervenants :
Hanna Assouline présidente des Guerrières de la paix, l’action militante des femmes
Ahmed Bouyerdène chercheur, écrivain : La paix extérieure et la paix intérieure (l’exemple de l’Emir Abdelkader)
Anne Ducrocq écrivain et journaliste : la transformation intérieure
Karel Fracapane chargé de la citoyenneté mondiale et de l’éducation à la paix à l’UNESCO
Bernard Perret socio-économiste, Conseil scientifique de l’Association Recherches Mimétiques (ARM), spécialiste de René Girard : Pourquoi la violence mimétique ?
Alfonso Zardi Membre d’Ensemble pour l’Europe, par ailleurs Délégué Général de Pax Chisti : le miracle de la construction européenne après la guerre
Témoignage de Dominique Bertucat présidente des « Yeux en promenade »
Intermèdes artistiques de Hajar Masbah (chant), Nadia Lang (poème) et Francesco Agnello (hang)
Synthèse des pépites des contributeurs : Christine Taieb Présidente de l’Amitié Judéo-Musulmane de France – Paris et Marc Lebret, secrétaire général de la Cinpa qui a assuré la conclusion du colloque.